Peu avant la sortie du film sur les écrans, Pascale Ferran expliquait dans une interview : « Même s'il existe encore de par le monde de vraies guerres, on a le sentiment que dans nos pays occidentaux elle est entrée à l'intérieur de nous. Gary, mon personnage masculin, se sent en état de guerre permanent, y compris avec lui-même. J'ai moi aussi un rapport très compliqué au conflit, c'est quelque chose qui me rebute et qui me met en état de détestation de moi-même. Aussi suis-je très sensible à l'âpreté entre les gens, très révélatrice selon moi des années Sarkozy. C'est de plus en plus compliqué d'arriver à prendre un peu de hauteur et de trouver comment s'allier pour une forme d'intérêt général. On dit que chacun vit dans sa bulle, c'est vrai, mais vraie aussi est notre perméabilité au monde. Et si le monde est en nous, on a une possibilité de le changer. »
Gary eut soudain l'impression d'avoir lancer un hameçon et d'attendre que ça morde...
C'est donc l'histoire d'une micro-révolution que Pascale Ferran mets en scène. Celle, infime, qui se joue à l'échelle de l'individu. Ni grands discours, ni grands combats, juste les défections juxtaposées de destinées échappant pour quelques jours, dans l'enceinte d'un aéroport, au carousel trépidant du temps monétisé. Des prises de consciences qui, à défaut de tranformer le monde, transforment la vie.
Face à l'instrumentalisation croissante des individus dans une société géré par une marchandisation outrancière, que deviennent les relations humaines? La première image apparaissant à l'écran et celle d'un cadran horaire géant que traversent, indifférents les uns aux autres, des voyageurs s'acheminant vers leurs destinations. Puis, des bribes de conversations, des pensées, comptant, calculant, répertoriant, énumérant, de l'argent, des heures, des noms, des personnes ... l'humain transformé en machine à calculer, à évaluer, à dénombrer ...
Paris-Tokyo ne peut pas décoller...
Quelques-uns d'entre eux finiront leur trajet dans un hotel de l'aéroport Charles de Gaulle. Toute la suite du film se déroulera sur cette plateforme d'échange, de transit, où paradoxalement les gens ne se parlent pas. Dans l'hôtel où travaille Audrey (Anaïs Demoustier en jeune femme de chambre), chaque cellule recèle une individualité secrète ne communiquant pas avec les autres. Les personnages sont pourtant sans cesse connecté (via Skype, mails et téléphone), mais les informations transmises sont très majoritairement d'ordre "logistique", c'est a dire: "concernant la mise à disposition de ressources, humaines ou matérielles, en correspondance avec des besoins, plus ou moins, déterminés": "Où es-tu ? ... À quelle heure est votre vol ... Il me faudra deux programmeurs en plus ... etc.
...un changement de dernière minute...
Perdu au milieu de ces considérations d'ordre fonctionnelles, le seul a essayer de mettre des mots sur les sentiments qui le submerge sera Gary, l'ingénieur américain, qui décide brusquement de tout plaquer. Jouant l'alternative, Audrey, sera celle qui décroche, en douceur, via une ellipse fantastico-poétique inexplicable. Le survol de Roissy en caméra subjective, dilaté par l'aérien "Space Oddity" de Bowie est à la fois le signe d'un glissement, hors du cercle vicieux de l'aliénation, et d'une mutation. Les mots disparaissent alors pour faire place à la multitude des sensations.
Pourquoi va-t-il à Perpignan ?
C'est par une présence totale aux plus intimes frémissements de la vie que l'héroïne de Pascale Ferran parvient à préserver l'intégrité de sa dimension humaine. Pas d'explications, pas de justifications. Soit on se laisse emporter avec elle dans ce mouvement plein de bruissements subtils et de découvertes émerveillées qui a tout d'une évasion, soit on se refusera à la suivre. Mais si l'on part, c'est magnifique. Construit comme un concerto de musique de chambre, avec un thème et une progression, une exposition en trois parties, ce film livre une partition visuelle rigoureuse plus proche de la rêverie métaphysique que de la diatribe contestataire. Que le propos en soit chuchoté avec délicatesse ne le rend que plus troublant.
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